Les 14 et 15 mai 1941, 3 710 Juifs étaient arrêtés lors la rafle dite du « billet vert ». C’est la première vague d’arrestations massives de Juifs sous le régime de Vichy.

Le 13 mai 1941, à Paris et dans sa proche banlieue, sur la base des recensements effectués, 6 694 hommes juifs étrangers reçoivent une convocation de couleur verte émanant de la police française pour « examen de situation ».
Le « billet vert » les appelle à venir se présenter dans les commissariats de la ville et de la région parisienne, accompagnés d’un proche.
Les convocations sont signées par un commissaire de police.
Qui sont ces hommes ? Dans quel contexte se situe cette rafle ? Comment ont-ils été ciblés ?

Les 6 694 hommes sont des Juifs dits « étrangers », principalement de nationalités polonaise et tchèque, et certains sont des apatrides. Ils ont entre 18 et 60 ans. Ils habitent Paris et la région parisienne. Beaucoup sont des pères de famille. Ils ont fui l’antisémitisme et les persécutions de leur pays natal – Pologne, URSS, Roumanie, … Tchécoslovaquie. Ils étaient sûrs de trouver refuge dans le pays des libertés et des droits de l’Homme. Certains se sont engagés volontaires dans l’armée française au début de la guerre. Ils ont donc combattu pour la France. On peut même imaginer qu’ils se sont rendus à la convocation en pensant qu’on allait réviser leur situation et les régulariser. Ils ne prennent pas encore la mesure des conséquences de leur double statut de Juifs et étrangers.
S’ils sont convoqués par courrier à leur domicile, c’est qu’ils ont obéi aux ordres de la Préfecture de Paris et se sont faits recenser dans les commissariats en tant que juifs. En effet, le recensement des juifs étrangers a été effectué à partir de sur ordre des Allemands. Le régime de Vichy a même pris l’initiative de promulguer une loi sur le statut des Juifs : la loi dite du » 4 octobre 1940 » qui permet notamment l’internement des « ressortissants étrangers de race juive ». C’est une loi d’exception conçue et mise en application par le régime de Vichy. Elle suit la proclamation du premier Statut des Juifs du . Numérotée 29, cette loi est publiée au Journal officiel de l’État français du , page 5324. Le Commissariat général aux questions juives est créé le 29 mars 1941.
Theodor Dannecker, représentant d’Adolf Eichmann à Paris, souhaite accélérer l’exclusion des Juifs étrangers, il s’appuie sur Carltheo Zeitschel, qui partage avec lui les mêmes objectifs, et qui est chargé à l’ambassade d’Allemagne à Paris des relations avec le Commissariat général aux questions juives. Le 22 avril 1941, Dannecker informe le préfet Jean-Pierre Ingrand, représentant du ministère de l’Intérieur en zone occupée, de la transformation du camp de prisonniers de Pithiviers en camp d’internement, avec transfert de sa gestion aux autorités françaises. Pithiviers étant insuffisant, celui de Beaune-la-Rolande est également requis, pour une capacité totale de 5 000 places.
Le « billet vert » reçu par les Juifs étrangers de Paris stipule : « [M. X] est invité à se présenter en personne accompagné d’un membre de sa famille ou d’un ami, le 14 mai 1941, à 7 heures du matin, [suivait une adresse parisienne] pour examen de sa situation. Prière de se munir de pièces d’identité. La personne qui ne se présenterait pas aux jour et heure fixés s’exposerait aux sanctions les plus sévères. »
Que se passe-t-il à l’arrivée sur les lieux de convocation ?
C’est un véritable piège qui leur est tendu par les autorités françaises. Plus de la moitié, 3 710 juifs pensant répondre à une formalité administrative, se rendent dans les centres indiqués sur la convocation, notamment à la caserne des Minimes (3e arr.), à la caserne Napoléon (4e arr.), au 33 de la rue de la Grange-aux-Belles (10e arr.), au 52 rue Edouard Pailleron (19e arr.), au 33 rue de la Grange-aux-belles (10e arr.) et au gymnase Japy (11e arr.). Ils sont le plus souvent accompagnés de leurs familles, de leurs épouses et même de leurs enfants en bas âge.
En quelques heures, tout va se jouer. En fait il n’y a aucun « examen de situation », ils sont immédiatement mis en état d’arrestation. Sur les fiches de police de la plupart d’entre eux, on trouvera ce motif de l’arrestation : « En surnombre dans l’économie nationale. » (Vichy et la Shoah, Alain Michel, CLD, 2012, page 192).

La personne qui les accompagne, choquée, est invitée à aller leur chercher un sac ou une valise contenant des couvertures et des vivres pour 24 heures et à les ramener au centre de détention. Parqués à l’intérieur, sous la garde des policiers et gendarmes, la souricière vient de se refermer. Personne ne peut plus ressortir. Les familles qui reviennent avec les colis les remettent aux forces de l’ordre, impossible de voir le mari, le fils, le père, le frère et de prendre congé. Les femmes et les enfants sont ensuite relégués au fond de la rue, bloqués par un cordon de policiers puis la rue est évacuée. Pour nombre d’entre eux, c’est la dernière fois qu’ils voient leur mari, leur père ou leur frère.

Ils sont déportés le soir même, par l’arrière de la gare. Ils partent par quatre trains spéciaux, vers les camps du Loiret, à une centaine de kilomètres au sud de la capitale. Ces camps, situés à Pithiviers, Jargeau et Beaune-la-Rolande, étaient des camps de transit qui servaient à regrouper les prisonniers juifs avant de les déporter vers les camps d’extermination.
Des photos arrachées à l’oubli
Quatre-vingts ans après, des photographies de cette rafle dite « du billet vert » viennent de refaire surface grâce au Mémorial de la Shoah. (Cliquez sur la photo pour les agrandir)
L’institution a acquis auprès d’un collectionneur normand, 98 clichés issus de cinq planches contact, prises par un soldat allemand de la « Propaganda Kompany ». Elles sont numérotées de 182 à 187 – la planche 185 est manquante. Après la débâcle et l’armistice du 25 juin 1940, les allemands musèlent et placent, sous contrôle de la censure, la presse Française. La Propaganda Kompanie (la PK) est directement rattachée à Joseph Goebbels, ministre de la Propagande. Elle est composée de photographes, de caméramans, de journalistes radios et presse, équipés du meilleur matériel.
Les clichés ont été acquis, « un peu par hasard » par le Mémorial auprès du collectionneur qui les avait achetés il y a une dizaine d’années lors d’une brocante à Reims. Et avant, comment ces planches contact sont-elles arrivées à Reims ? Le mystère reste entier pour le moment.
Ce que l’on sait grâce à la conservatrice du Mémorial de la Shoah, Mme Lalieu-Smadja, c’est le nom du photographe : Harry Croner. Il est décédé dans les années 1990, et avait été renvoyé de la Wehrmacht en 1941 après la découverte d’une ascendance juive. Les clichés sont troublants d’humanité et montrent des familles sur le point d’être déchirées par la barbarie nazie. Peut-être a-t-il cherché à contourner la propagande nazie ? Là aussi, le mystère reste entier.
Si cinq des clichés étaient déjà connus et avaient été diffusés à l’époque dans la presse, les autres sont inédits. Ils montrent les lieux de l’arrestation immortalisés sous plusieurs angles ainsi que les protagonistes de la rafle et son déroulement de l’arrivée au gymnase Japy, lieu de la « souricière », jusqu’à l’internement dans les camps du Loiret. Cette découverte est donc exceptionnelle par la rareté et le contenu. La plupart des photos ont été prises au gymnase Japy (11e arrondissement de Paris) où près de 800 Juifs étaient venus se faire « examiner » sur les 1061 Juifs convoqués à 7h du matin.
Sur les photos on distingue : les visages des victimes et de leurs proches; ils expriment, l’incompréhension et l’angoisse ; Un dernier regard échangé ; Une valise qui passe de main en main ; Des dialogues entre les femmes et les policiers ; Des enfants amassés devant l’entrée du gymnase, un landau vide, sur le trottoir, un homme et une femme s’enlacent pour un ultime baiser, l’émotion des adieux ; Les hommes arrêtés et parqués dans les gradins à l’étage, essayant par les fenêtres du gymnase d’apercevoir leur famille ; Les curieux et les voisins, témoins de la tragédie, aux fenêtres, sur les balcons ou dans les porches des immeubles ; L’embarquement dans les autobus pour la gare d’Austerlitz; l’attente et l’embarquement dans les wagons.
Ce qui est frappant sur ces photos, ce sont les policiers français qui procèdent au contrôle des papiers et les gardiens de la paix qui assurent l’encadrement, sous l’œil de Theodor Dannecker, représentant d’Adolf Eichmann et chef du service des affaires juives de la Gestapo à Paris, ainsi que de l’amiral François Bard, fraîchement nommé préfet de police de Paris. Les policiers français sont en nombre etpendant des années, la France s’est gardée de diffuser des photos accablantes de collaboration actives aux rafles.

Ainsi, l’une des 5 photos publiées par la presse de propagande à l’époque – qui montre un gendarme reconnaissable à son képi, en train de surveiller le camp de Beaune la Rolande – a été reprise par Alain Resnais dans son documentaire « Nuit et Brouillard « .
Cela paraît incroyable aujourd’hui mais en 1956, la commission de censure a exigé que la photo soit supprimée du film. Les auteurs et producteurs refusent mais sont contraints de masquer, de couvrir le képi du gendarme par un recadrage de la photographie et une fausse poutre. Les autorités allemandes demandent le retrait du film de la sélection officielle du festival de Cannes 1957 arguant du fait qu’il perturbe la réconciliation franco-allemande. Le film sera présenté hors compétition, la Suisse refusant même de le diffuser au nom de sa « neutralité ». Depuis l’image a retrouvé son intégrité. Dans les années d’après-guerre il n’était pas de bon ton d’égratigner le socle de la France Résistante. Impossible alors de parler de faute ou d’indignité. Vichy pour le général De Gaulle, ce n’était pas La France.
Ces photos sont donc doublement importantes. Elles restituent l’humanité des victimes et le drame des familles (non publiés, effacés et censurés par la gestapo et Vichy qui les présentaient en ‘’parasites’’). Mais surtout, elles donnent à voir le déshonneur national de la collaboration et de la complicité active de l’État français, de ses préfets et de sa Police dans le crime contre l’humanité.
Quelles réactions se font jour en France face à cette rafle sournoise ?
Le journal antisémite Je suis partout, dans son édition du 19 mai 1941, réagit à ces arrestations en masse en publiant cet article :
« La police française a pris enfin la décision de purger Paris et de mettre hors d’état de nuire les milliers de Juifs étrangers, roumains, polonais, tchèques, autrichiens qui, depuis plusieurs années, faisaient leurs affaires aux dépens des nôtres. Mercredi matin, la Préfecture de Police a réussi un beau coup de filet, puisque cinq mille habitants ont été mis en état d’arrestation. L’affaire fut menée dans le plus grand secret. Les gens du ghetto, qui ne manquent cependant pas de nez, crurent à une simple vérification de police. Bien vite, un officier s’empressa de les détromper. Il s’agissait d’une arrestation, en bonne et due forme. Il faut dire que les Juifs ne goûtèrent pas cette invitation de se rendre, à leur tour, immédiatement et sans délai, quelque part en France. Jusqu’ici, les Français avaient eu seuls à en faire les frais. Sous les voûtes de ce gymnase Japy où, au cours de multiples « meetings », ces mêmes Juifs s’étaient réunis pour préparer, décider et fignoler leur guerre, là, sur la tribune d’où Bernard Lecache les haranguait, les voici réunis. Des femmes, à bout de nerfs, se renversent, échevelées. Elles viennent de découvrir la douleur de perdre mari, fils ou père. »
Ce texte ignoble illustre bien la propagande du régime antisémite de Vichy. Les juifs sont des « nuisibles « , qui font leurs affaires sur le dos des Français et dont il s’agit de purger le corps national malade. L’humour est grinçant, »les juifs ne manquent pas de nez » et cette expression renvoie aux stéréotypes physiques les plus abjects. Le coup de filet est parfait, les autorités de police applaudies et le plaisir d’imaginer les femmes juives échevelées se renverser de douleur est jouissif pour l’auteur !
Cette opération de la police s’est faite au grand jour, devant la population parisienne et de nombreux témoins et acteurs du drame. Les réactions des parisiens et des parisiennes aux fenêtres de leur appartements (voir photos de la galerie ci-dessus), celles des badauds ou encore celles des policiers ne sont pas bien connues et documentées. Si certains se sont réjouis, on peut penser aussi que d’autres se sont offusqués par le » sale travail », les conditions inhumaines de cette rafle et la détresse des familles. Ces derniers s’opposèrent par la suite aux nazis et à la collaboration et une partie des témoins grossirent les rangs de la résistance.
Quel a été le destin des raflés?
Sur les 3.700 juifs arrêtés lors de la rafle du billet vert, 1.700 sont internés à Pithiviers et 2.000 à Beaune-la-Rolande.

Le camp de Pithiviers était situé à 19 km à l’est d’Orléans, dans la commune de Jargeau, à l’emplacement de l’actuel collège Le Clos Ferbois. Il était d’une superficie de 2,5 hectares et doté de 17 baraquements censés pouvoir interner 600 personnes environ, il comptera pourtant jusqu’à 1.720 prisonniers, juifs, tsiganes, résistants, réfractaires au STO et personnes marginalisées. Six convois partirent de Pithiviers les 25 juin, 17 juillet, 31 juillet, 3 août et 21 septembre 1942, transportant en tout 6.079 Juifs vers Auschwitz pour y être assassinés.
Il n’y eut que 115 survivants à la Libération, soit 1,8 % des déportés.
Le 7 décembre 1991, une plaque commémorative fut posée au collège Clos Ferbois.
Le camp de Beaune-la-Rolande était situé à environ 98 km au sud de Paris, 51 km au nord-est d’Orléans, 26 km au nord-ouest de Montargis et 19 km au sud-est de Pithiviers. C’est un des trois camps d’internement et de déportation dans le département du Loiret. Il était composé de quatorze baraques, isolées par des barbelés renforcés par des miradors. De ce camp sont partis les Convois de déportation du : 28 juin 1942 – Convoi n°5 et du 5 août 1942 – Convoi n°15.
Les photos de la galerie présentent les camps du Loiret (Cliquez sur la photo pour les agrandir)
Prisonniers, ils patientent de longs mois et vont y rester pendant plus d’un an, dans l’ignorance totale du sort qui leur sera réservé. Les conditions de vie sont particulièrement difficiles. « Les baraquements étaient en bois avec un toit en tôle. Il y faisait extrêmement chaud l’été et très froid l’hiver. Il n’y avait pas d’aération et c’était très mal isolé. Le sol était en terre battue et la paille pour les lits était rarement changée … Pour se laver, il n’y avait pas de douche, seulement des lavabos extérieurs. Pour les toilettes, il y avait des latrines. La nourriture était aussi de mauvaise qualité et en quantité restreinte ».

Les internés ont quelques contacts avec les habitants de Pithiviers. Certains sont autorisés à travailler à l’extérieur, dans des fermes ou des usines des alentours.

Au cours des premiers mois, leurs familles peuvent aussi leur rendre visite. Claudine Bibes, née Krystal, se rappelle être venue dans le camp avec sa mère et son frère pour voir son père Jacques. Elle avait quatre ans : » j’étais vraiment toute petite quand il a été arrêté. De lui, je n’ai que très peu de choses. Il me reste un souvenir de Pithiviers. Il revenait de son travail à la sucrerie et comme je n’arrivais pas à suivre, il m’avait prise sur ses épaules. C’est la seule image que j’ai de mon père. »
Certains des « travailleurs » profitent de ce temps passé à l’extérieur pour s’évader. Des habitants des environs leur offrent aussi leur aide, comme les membres de la famille Tessier, qui seront faits « Justes parmi les Nations », ou comme l’infirmière de la Croix-Rouge Madeleine Rolland. La famille de Jacques Krystal essaie aussi de le faire sortir. » Ma tante avait réussi à trouver quelqu’un pour l’aider à s’échapper, mais mon père n’a pas voulu pour ne pas nous mettre en danger « , dit sa fille Claudine. En tout 700 hommes parviennent à s’évader des deux camps, mais après ces nombreuses évasions, la surveillance est renforcée. Les proches ne sont plus autorisés à rendre visite aux juifs internés.
Au début de l’année 1942, des bruits commencent à courir à propos d’un possible départ » vers l’est » pour y travailler. Les 3.000 prisonniers restants seront envoyés à Auschwitz.

Ainsi par exemple, le 8 mai 1942, 289 d’entre eux sont transférés au frontstalag de Compiègne-Royallieu, d’où ils sont majoritairement déportés vers Auschwitz le 5 juin 1942, par le convoi 2. Le 25 juin 1942, un autre convoi de 999 hommes est constitué.
« Ma main tremble, de mes yeux coulent de lourdes larmes, cependant il me faut t’annoncer la nouvelle que je fais partie des 1 000 hommes qui doivent partir « , écrit ce jour-là, dans une dernière lettre à sa femme, Majer Kreinig, un interné polonais, . « J’aurais voulu t’écrire longuement, très longuement, mais je ne peux pas car mes mains tremblent et la lettre est mouillée. »
Ces hommes sont emmenés à la gare de Pithiviers, d’où ils partent directement pour Auschwitz. Parmi eux se trouve Jacques Krystal. Avant d’être déporté, il réussit à prévenir sa femme du danger qui la guette et lui conseille de quitter Paris. Claudine Krystal est cachée chez des religieuses à Saint-Junien en Haute-Vienne. Sa mère, ses grands-parents, l’une de ses tantes et sa cousine trouvent refuge à Megève. Dénoncés, ils sont arrêtés le 10 octobre 1943 et déportés eux aussi à Auschwitz.
À la Libération, la petite fille retrouve son frère Charles-André, qui avait également été mis à l’abri, mais leurs deux parents ne reviendront jamais. Pendant longtemps, elle les a attendus :
» une de mes tantes est rentrée des camps. Un jour, cachée derrière la porte, je l’ai entendue dire que ma mère était passée par les chambres à gaz et le four crématoire. Elle a aussi dit que mon père avait dû subir le même sort. J’avais huit ans. C’est comme cela que j’ai appris la mort de ma mère et probablement celle de mon père. »
Les autres hommes de la rafle « du billet vert » seront eux aussi déportés directement à Auschwitz par trois convois du 28 juin 1942 et six du 17 juillet 1942. Les camps de Pithiviers et Beaune-la-Rolande, vidés de leurs occupants, seront très vite de nouveau remplis.
La rafle du « Billet vert’’ restera dans l’ombre, éclipsée dans la mémoire nationale par la rafle du Vel’ d’Hiv’ des 16 et 17 juillet 1942 – l’arrestation par les forces de l’ordre françaises de 13 000 Juifs parisiens. Aucun de ces deux évènements terribles de la collaboration n’avaient été couverts par des preuves directes photographiques ; ce qui rend cette découverte si exceptionnelle en termes de témoignage pour l’histoire et la mémoire des victimes. Pour autant, ces deux évènements sont tragiquement liés. En effet, les femmes et les enfants sur ces photos, remplacèrent leurs maris et leurs pères, dans ces mêmes lieux, après la rafle du Vel’ d’Hiv’ organisée à Paris et dans sa banlieue. Ils ont été parqués dans les mêmes baraquements avant d’être eux aussi déportés à Auschwitz, entre juillet et septembre de cette terrible année 1942.
Conclusion
Véritable coup de filet, la « rafle du billet vert » a marqué le début des arrestations massives en zone occupée. Cette première rafle est intervenue à peine onze mois après l’armistice et a précédé de quatorze mois les rafles de l’été 1942, dont celle du Vél’ d’Hiv.

Pendant longtemps, la mémoire des internés de Pithiviers et de Beaune-la-Rolande est restée cantonnée aux familles des victimes et aux cérémonies organisées par des associations de la communauté juive. Dans le Loiret, le silence était presque total, les faits refoulés. Pourtant cela s’est passé dans notre pays, sur le sol national, avec la participation active et décisive de l’Etat Français et de sa police. La responsabilité française est écrasante et l’amnésie locale tenace. Lors de mes guidages sur place, face à des questions banales, certains expriment un manque d’intérêt, d’autres habitants sont gênés, on parle encore beaucoup des juifs, pourquoi ressasser le passé, il faut aller de l’avant, tourner la page…
Pourtant, il s’agit d’une tache indélébile dans l’histoire de France.
Pour l’orpheline de guerre, Claudine Bibes, la blessure n’a jamais cicatrisé :
« Je n’ai pas de tombes proprement dites. Pour moi, mes parents sont morts sans être morts. On a beau être vieux, cela ne passe jamais. »
Notre devoir est de faire entendre la voix des victimes innocentes, d’éduquer la jeunesse et de perpétuer la mémoire des morts. Désenfouir le passé, faire reculer le déni, le négationnisme, l’antisémitisme et le racisme.
Dans la propagande de Vichy et des nazis, « ces juifs vivaient au crochet de l’économie nationale et profitaient des richesses de la France », leur recensement, leur exclusion, leur arrestation et leur internement marquent le début du processus qui mènera à la solution finale.
Une page honteuse et déshonorante de l’histoire de France débute alors, qui verra 16.000 à 18.000 Juifs être internés dans ces deux camps, certains pendant plus d’une année, d’autres pour quelques jours. Internés avant d’être déportés et de disparaître, assassinés dans les camps d’extermination d’Auschwitz et, pour quelques-uns, de Sobibor. 4.700 enfants ont été internés dans ces deux camps français entre juin 1942 et juillet 1943 : 4.400 ont été déportés et assassinés, 26 adolescents ont survécu, 3 enfants sont morts à Bergen-Belsen, 15 en sont revenus. 14 enfants sont morts dans les camps de Beaune-la-Rolande, Pithiviers et Drancy.

Cette carte montre tous les camps d’extermination (ou « camps de la mort ») et la plupart des principaux camps de concentration, de travail forcé, prisons, itinéraires de déportation et lieux de massacres.
En tout, entre le printemps 1942 et la Libération en 1944, 75.721 Juifs de France sont déportés vers les camps d’extermination, en 79 convois. 2.566 seulement reviendront. Un tiers sont des Juifs français, et deux tiers des Juifs étrangers. 14 % avaient moins de dix-huit ans et 12 % plus de soixante ans. De mars à décembre 1944, 43.000 Juifs ont été déportés en 43 convois, à destination d’Auschwitz. Les trois quarts venaient de la zone nord et le quart restant de la zone sud. En 1943, 17.000 Juifs sont déportés en 17 convois dont 14 pour Auschwitz et trois pour Sobibor. La grande majorité des 75.000 Juifs déportés vers les camps de la mort l’ont été avec la participation active de la police française. Outre les déportés, 3.000 personnes sont mortes dans les camps d’internement français et il a été procédé à environ 1.000 exécutions de Juifs sur le sol français ; ces 4.000 victimes s’ajoutent aux 75.721 déportés et porte le bilan total de la « solution finale » pour la France à environ 80 000 assassinats.
La responsabilité de la France dans la Shoah sur son territoire ne sera pleinement reconnue qu’en 1995 par le président Jacques Chirac qui déclare dans son discours:
« Ces heures noires souillent à jamais notre histoire et sont une injure à notre passé et à nos traditions. Oui, la folie criminelle de l’occupant a été, chacun le sait, secondée par des Français, secondée par l’Etat français. [ ] La France, patrie des Lumières et des Droits de l’Homme, terre d’accueil et d’asile, la France, ce jour-là, accomplissait l’irréparable. »
© Dr. David Ohnona – Instagram @Davidohnona Facebook DavidOhnona
CEO Memories Foundation
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Commémorations et expositions
Le Conseil de Paris d’avril 2021 a voté l’apposition de plaques commémoratives au sein de la gare d’Austerlitz, au gymnase Japy (11e arr.) et à la caserne des Tourelles (20e arr.) , points de rassemblement des arrestations de la rafle du 14 mai 1941.
Une exposition en plein air à l’extérieur du gymnase Japy revient sur la première rafle de juifs en France :
- Gymnase Japy, 2 rue Japy 75011 PARIS.
- Du 15 mai au 16 juillet 2021 : lundi, mardi, mercredi, jeudi, vendredi, samedi, dimanche de 6h à 19h
- Métro : Ligne 9 : Charonne (252m) Ligne 9 : Voltaire (273m)
Pour approfondir
- David Diamant [pseudonyme de David Erlich] (préf. Marcel Paul), Le Billet vert : Vie et lutte à Pithiviers et Beaune-la-Rolande, camps pour juifs, camps pour chrétiens, camps pour patriotes, Paris, Éditions du Renouveau, , 334 p. (notice BnF no FRBNF34708849).
- La « rafle » du billet vert et l’ouverture des camps d’internement du Loiret , conférence du Cercle d’étude (2011) avec Benoît Verny, Berthe Burko-Falcman et Claude Ungar.
- « Le camp d’internement de Pitiviers » pitiviers.fr
- Site du Centre de recherche et de documentation sur les camps d’internement et la déportation juive dans le Loiret
- Nathalie Grenon, Orléans, 18 mars 2010, citée in Alexandra Derveaux, La valorisation des lieux de mémoires de la Shoah en France, entre mémoire et patrimoine culturel. [archive], p. 32, Université Panthéon-Sorbonne, Paris, septembre 2010.
- La Rafle, film français (mars 2010) de Roselyne Bosch avec Gad Elmaleh, Jean Reno, Thierry Frémont, Sylvie Testud et Mélanie Laurent
- Elle s’appelait Sarah, film français (octobre 2010) de Gilles Paquet-Brenner avec Kristin Scott Thomas, Niels Arestrup, Frédéric Pierrot, Michel Duchaussoy, Dominique Frot, Gisèle Casadesus (tiré du livre : Elle s’appelait Sarah par Tatiana de Rosnay)
- « Discours de Jacques Chirac sur la responsabilité de Vichy dans la déportation, 1995 » , Jalons pour l’histoire du temps présent, Institut national de l’audiovisuel
???? Nous reprendrons dès que possible nos voyages mémoriels
???? Racontez nous votre expérience, votre histoire familiale, vos témoignages sur la « Rafle du Billet Vert »
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